Catégorie > Histoire et géographie

Liberté, égalité, fraternité (Exposé)

Posté par Termita, mise à jour le 06/06/2021 à 12:00:11

«Ce n’est pas la tyrannie qui est difficile. Non. C’est plutôt la République qui est difficile. (…) Toujours, il sera difficile de défendre une République qui n’a pour elle que ses principes, et encore qui ne les applique pas. (…) La République est trois fois reniée, trois fois maudite, trois fois trahie chaque jour, et par ses meilleurs amis, avant que le coq ait chanté. Soit. Mais que le chant du coq, alors, nous avertisse; et courons prêter la main à ces principes en apparence impalpables, en réalité si lourds à porter et qui ne paient pas les porteurs.»

Alain, dans ses Propos, rappelle que, sous l’apparente immuabilité de notre devise républicaine, percent de nombreuses interrogations. En effet, bien qu’inscrite sur le fronton de nos mairies, sur le revers de nos médailles, sur les étamines de nos drapeaux, sur le filigrane de nos papiers officiels, la devise républicaine bien souvent nous échappe. Utilisée il y a plus de deux siècles par les révolutionnaires comme symbole de leur combat, reprise avec éclat par les hommes de 1848, et fonctionnant depuis plus d’un siècle comme devise du régime et de la
Constitution, l’avenir de la devise républicaine paraît consubstantiellement lié à celui du régime républicain. Pour autant, la devise reste le produit, parfois fragile, d’une longue évolution qui a été marquée tour à tour par des hésitations et des certitudes, par des contestations et des glorifications.
Mais précisément, à l’heure de remises en causes parfois inquiétantes, reste à savoir si nous continuons à voir, à entendre, le sens profond de ces trois mots si obsédants de notre vie publique ? Faut-il, en ce sens, concevoir la devise républicaine comme une véritable valeur, ou plutôt un idéal, voire un principe de gouvernement ?
Scellant symboliquement le pacte républicain, on verra dans un premier temps que la devise «Liberté, égalité, fraternité», s’est imposée comme le ciment juridique de la citoyenneté républicaine (I). Puis, on rappellera que construite entre idéaux et tensions, la devise républicaine «demeure un chantier ouvert à l’effort » (François Mitterrand) - (II)

I) Scellant symboliquement le pacte républicain, la devise « Liberté, égalité, fraternité», s’est imposée comme le ciment juridique de la citoyenneté républicaine.

A) On verra dans un premier temps que les fondements historiques et politiques de la devise « Liberté, égalité, fraternité » scellent le pacte républicain.

1) Le fondement historique

En effet, la devise, à l’instar de la République, est le fruit de l’histoire et des institutions.
Héritage du siècle des Lumières, la devise "Liberté, Égalité, Fraternité" est invoquée pour la première fois lors de la Révolution française. A ce titre, c'est dans un discours de décembre 1790, sur l'organisation des gardes nationales, que Robespierre préconise l’inscription des mots "Le Peuple Français" et "Liberté, Égalité, Fraternité" sur les uniformes et sur les drapeaux. Pour autant, comme beaucoup de symboles révolutionnaires, la devise tombe en désuétude sous l'Empire. Elle réapparaît lors de la Révolution de 1848, empreinte, cette fois ci,
d’une dimension religieuse : les prêtres célèbrent alors le Christ-Fraternité et bénissent les arbres de la liberté qui sont plantés. Lorsque est rédigée la constitution de 1848, la devise " Liberté, Égalité, Fraternité " est définie comme un "principe" de la République. Ignorée par le Second Empire, elle finit cependant par s'imposer sous la
IIIème République. La devise est alors réinscrite sur le fronton des édifices publics à l'occasion de la célébration du 14 juillet 1880.
Elle figure dans les constitutions de 1946 et 1958 et fait aujourd’hui partie intégrante du patrimoine national.

2) Il convient cependant de mettre au jour l’apport conceptuel essentiel du Contrat social comme fondement philosophique de la devise républicaine.


En effet, Rousseau, en 1762, consacre à la fois la liberté et l’égalité
et suppose la souveraineté detous. Selon lui, la liberté est le bien premier et fondamental à conquérir, et l’égalité est l’instrument conditionnant l’existence de celle-ci.
En outre, Rousseau assigne une place essentielle à l’idée de patrie, idée qui fonctionnera, sous la révolution, comme l’une des sources conceptuelles majeures de la fraternité. En effet, ainsi que l’indique Rousseau, le plus grand ressort de l’autorité politique est dans le cœur des citoyens.
Or pour que la patrie existe, il faut que les citoyens soient libres et participent en tant qu’égaux au pouvoir.

Ainsi, en posant la patrie comme susceptible d’imposer la fraternité, Rousseau ouvre largement la voie à la construction politique de la devise républicaine.

B. Plus encore, les visées de la devise sont à l’origine de réalisations républicaines fondamentales.

1) En effet, la devise de la République a d’abord jouer comme représentation et projection de l’idéal républicain

La nation est toute entière une représentation, instituée dans
l’imaginaire national (selon le concept d’Anderson). L’État et ses valeurs sont, en ce sens, l’opérateur de l’identité nationale. Or,
la république «n’ayant pas de visage », la devise républicaine, Liberté, égalité, fraternité, s’inscrit dans cette stratégie de représentation et d’imagerie républicaine.

A ce titre, Maurice Agulhon explique que, pour s’ancrer dans les mœurs, la République a du construire sa propre image et mettre en place une politique de diffusion de celle-ci. Cette image est notamment
véhiculée par les Mariannes, mais également par la devise et l’imagerie populaire.

En ce sens, depuis le Moyen Age, la devise a une fonction utilitaire, elle sert de cri de guerre ou de ralliement et met au jour les
principes guidant l’action de ceux qui s’en prévalent. A ce titre, la
devise a la capacité d’incarner, à elle seule, non seulement l’essence de la démocratie, et de la république, mais encore les principaux acquis de la révolution.

2) La devise républicaine comme ciment de la citoyenneté républicaine

En plus de sa visée symbolique, la devise, selon les termes d’Ernst Bloch, est également le signe d’une prédominance normative. Ainsi, la République, par l’intermédiaire de sa devise, va de pair avec un
certain ordonnancement du réel. La devise peut, dès lors, être conçue comme une série de principes, dans la mesure où chacun des trois termes à vocation à inspirer le législateur, et à donner lieu à des traductions juridiques et citoyennes tout à fait tangibles. A ce titre, la
fraternité, permet, selon Mona Ozouf de penser l’articulation entre individu et communauté. De même, le principe d’égalité est capable de créer entre les individus les conditions nécessaires à leur union et à leur bonne entente. A ce titre, la «table des réalisations» (Paul Valéry) de ces valeurs républicaines est multiple :
- Pour la fraternité: elles sont au cœur du fonctionnement de l’Etat
-providence. Elles passent également par toutes les politiques familiales, ou encore les politiques sociales en faveur des handicapés, par la mise en place de la sécurité sociale (1945). Elle est également symbolisée par la Loi du 1er juillet 1972 contre le racisme, par le RMI (1988) marquant le droit à l’assistance en direction des plus démunis.

- L’égalité est également un principe fondamental en droit public, on mentionnera, à ce titre, l’Égalité devant la loi et les règlements
(article 1, l’Égal accès à la fonction publique, l’Égalité devant les charges publiques, l’égalité devant un impôt personnel et progressif.

-Enfin, la liberté se concrétise par des traductions juridiques fondamentales, telles la liberté de la presse, de réunion, de manifestation, de croyance, d’association. On soulignera également que le caractère laïc de la République, qui implique la séparation des Églises et de l'État, découle à la fois du principe de la liberté de croyance et du principe d'égalité des citoyens devant la loi.
Reste cependant à analyser la table des déceptions.

II) Longtemps conçu comme une « chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique » (Du contrat social), la devise républicaine, s’est construit dans une tension entre un idéal et des institutions.

A) Les errements historiques et la « table des déceptions » qui caractérisent la devise républicaine, symbolisent la fragilité du pacte républicain.

1)Des termes qui ont souffert de leurs excès d’ambition
La question de la compatibilité des 3 termes, constituant la devise, continue de susciter une certaine perplexité.


-En effet, comment concilier à la fois le drapeau des droits individuels et la bannière de l’égalité, appelant un certain nivellement ?

- De même, comment garantir que le principe de fraternité ne se pas transforme en« redoutable machine à exclure », rejetant du cercle des frères tous ceux qui ne font pas partie de cette entité, c'est-à-dire les ennemis, voire les étrangers ?

- De plus, pour beaucoup, l’égalité juridique semble avoir débouché sur une aggravation des inégalités. D’aucuns ont donc voulu substituer l’équité à l’égalité afin de réserver en priorité aux plus défavorisés le bénéfice des Services publics et des prestations sociales.
C'est alors reprendre la théorie de John Rawls indiquant qu’il est des inégalités qui sont justes et efficaces si elles se traduisent, précisément, par l’amélioration du sort des plus défavorisés.

2) Plus encore, la devise républicaine, obsédée par la Terreur, a souvent été écartée de l’Histoire

En effet, ainsi que le disait Bailleul au sujet de la devise :
Il n’y a qu’une démagogie en délire qui ait pu imaginer une telle absurdité et ait osé le dire. Cette réflexion du met au jour le rejet dont a pu être victime la devise républicaine au cours de l’histoire.
En effet, dès la fin du Directoire, la devise est tombée en désuétude, elle disparait sous le consulat, l’empire, la restauration, et le régime
de Vichy. On lui préfère alors les expressions « liberté, ordre public » ou « Travail, famille, patrie». Ce rejet s’explique par une incompatibilité manifeste entre les idéaux de la République et les valeurs anti démocratiques et anti républicaines de ces nouveaux régimes.

3)Enfin, la devise est surtout marquée par la « table des déceptions » qui fissure le pacte républicain.
En effet, la devise républicaine est aujourd’hui malade des échecs résultant des inégalités sociales et de la mise à mal de nombreux idéaux fondateurs.
Ainsi, est-il possible de parler de liberté quand il y a des chômeurs, quand des écoutes téléphoniques sont pratiquées, ou quand une Cour de sûreté générale instituée. Est-il possible de parler d’égalité alors que la société reste marquée par une faible féminisation, une inégalité des chances, et des inégalités de fait?
Est-il possible de parler de fraternité alors que nombreuses sont les personnes souffrant de discriminations, de racisme et d’antisémitisme?

C'est alors affirmer que les principes de la devise républicaine sont le fruit d’une conquête. Ils sont condamnés, à l’image de la république et de la démocratie, à se renforcer constamment pour se préserver, à exiger une vigilance de tous les instants pour se maintenir.

B. Dès lors, si la devise a pu être guettée par une certaine de banalisation, la triade républicaine n’en demeure pas moins aujourd'hui comme hier une devise à la fois toujours en débat et toujours en chantier.

1) Le risque d’un décalage entre l’idéal et la réalité (…)

La devise n’est, en effet, pas un dogme révélé mais une formule qui s’applique à une société vivante et évolutive, et qui par définition reste toujours en devenir.

Dès lors, afin d’éviter que se creuse un décalage majeur entre l’idéal dont la devise porte la promesse et une réalité affadie, les gouvernants sont donc condamnés à agir. On comprendra, en ce sens, les politiques publiques qui vise, précisément, à lutter contre les discriminations (la Halde), à renforcer l’assistance aux plus fragiles (loi visant à rendre le droit au logement opposable, notamment), ou à donner plus de liberté (droit propre mort, droit propre sexualité)

2)(…) implique que la devise demeure donc largement un programme à réaliser

Aussi reste-il de nombreuses situations qui constituent autant de violations flagrantes apportées aux 3termes de la devise, on pensera alors :

- Au développement de l’exclusion
- A la crise des banlieues,
- Au chômage des jeunes,
-A la précarité d’une fraction nombreuse de la population,
-Aux difficultés croissantes du système scolaire à assurer l’égalité des chances,
- A l’échec relatif du RMI à assurer l’insertion,
- A l’inégalité politique et salariale entre homme et femme,
-A la recrudescence des actes xénophobes et antisémitismes.

C'est donc comme emblème de l’impossible et non comme traduction du réel que la «sainte devise de nos pères » (Pierre Leroux) peut manifester encore son énergie créatrice. Cette devise, rappelant en définitive, que le combat pour les valeurs a la même nature que le combat pour la république : celle du mouvement perpétuel.



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